Transmission et échange : Intro-échange
L’Arabe langue patriarcale !
Almoutanabbi (Abou T̩ayeb Ah̩mad ibn al-H̩usayn al-Mutanabbi est un très grand poète arabe né en 915 à Kufa, et mort assassiné en 965 près de Dayr al-Akul (au sud-est de Bagdad). Ses poèmes tournent autour des louanges des rois, des descriptions de batailles, de la satire, de la sagesse et de sa philosophie de la vie que beaucoup d’hommes partagent avec lui. Il ne comprend pas notre langue arabe actuelle et nous ne parlons pas son arabe à lui. J’ai passé deux jours en sa compagnie, tout en préparant un article sur le sentiment religieux chez les anciens poètes arabes. J’ai presque la certitude que la plupart d’entre eux ne se sont préoccupés de cet aspect que rarement et en un nombre limité de poèmes. Ce qui me préoccupe ici, c’est que l’arabe que nous célébrons le 18 décembre, notre arabe à nous, est difficile à comprendre pour un poète comme Al Moutanabbi, vu que sa poésie, à ce que je vois, et d’aucuns le croient aussi, est le plus bel exemple des beautés de la poésie arabe dans ses deux grandes périodes, à savoir la période préislamique et la période moderne. La poésie est la source intarissable de la langue, et je crois que la langue a besoin de poésie plus que celle-ci a besoin de la langue…
En souhaitant la bienvenue à Al Moutanabbi, je lui dis :
«Je voudrais, avant que tu ne m’accompagnes au café, que tu portes un costume, comme moi, et une cravate (encore que le président tunisien Moncef Marzouki ne la porte pas, suivant en cela Mr. Rached Ghannouchi), une montre-bracelet, des chaussures et deux chaussettes…»
Étonné de ce qu’il a entendu et me jetant un regard avec des yeux grands ouverts, il me dit : « S’agit-il de lait ou de vin ? »
Je répondis :
« Ni l’un ni l’autre ! Je sais que pour vous, les Anciens, Al Qahwa signifie tantôt le lait pur tantôt le vin. On dit qu’elle est nommée ainsi parce qu’elle diminue l’envie de manger chez son buveur. »
Pourtant j’ai vu des gens qui, en buvant le calice jusqu’à la lie, avalent presque un mouton tout entier ! Je sais aussi qu’al Qahwa est un rassasiement entier. Je ne peux faire comprendre à Al Moutanabbi que nous, Arabes d’aujourd’hui, appelons Qahwa toute boisson à base de café, et nous appelons du même nom le lieu où les gens vont la boire.
Tel est le cas en Tunisie où les propriétaires de cafés en ont fait leur gagne-pain, grâce aux chômeurs de toutes sortes qui les fréquentent : diplômés d’universités, rebut des élites et élites des rebuts … et je lui dis que le café (al maqha) est le lieu où on boit le café (al qahwa) et j’ajoute que la cravate (rabtatt al onoq) a une histoire merveilleuse qui remonte au 17ème siècle.
Il s’agit d’un châle qu’on noue au-dessus de la chemise et qui a été utilisé par les soldats croates durant la guerre. On dit aussi que l’origine du mot « cravate » provient d’une déformation du mot « croate ». Leurs guerres étaient si violentes et si terribles que le moyen d’exécuter les croates était de les pendre avec les cravates qu’ils portaient. De là dérive le mot anglais neck-tie, en arabe rabtatt al onoq (rabta = tie et al onoq = neck).
Jawrab, au pluriel Jawareb (chaussettes), c’est le bandage qui entoure le pied. Certains l’appellent klassit. Au Moyen-Orient, on l’appelle aussi al kilsa. Quant à Essa’a (montre), c’est un instrument qui donne l’heure et ce n’est pas assa’i, qui veut dire le sinistré et ce n’est pas l’horloge solaire ou l’horloge de sable.
Et le pauvre Al Mutanabbi qui m’écoute, hébété, les yeux grands ouverts sans cesser de se frapper les mains. C’était comme si je lui parlais en chinois ou en japonais. Et quand mon portable a sonné, il a tressailli de peur. Je lui ai dit, pour le calmer :
« Ceci est un hatif. Le hatif (téléphone), tu le sais mieux que quiconque, est cette chose dont on entend la voix sans voir sa personne. Nous, les Arabes, nous employons ce mot pour désigner le téléphone car nous n’en avons trouvé de synonyme que dans vos mythes au sujet des Djinns et des voix non identifiables du désert …»
Pensant qu’il n’a rien compris de ce que j’ai dit, ou qu’il a cru que j’avais eu une bouffée délirante, je lui lis le poème de Nizar Qabbani intitulé La cravate.
« Cher Abu Attayib, voici un poète de Damas (Ash-sham) aussi célèbre que toi, qui a conquis le cœur des gens et du monde :
D’elle, une cravate
Que mes entrailles s’expriment
C’est le premier de ses cadeaux
Que le bon goût de celui qui l’a choisie soit apprécié
C’est ta grâce chère dame
Et non la grâce du printemps fleuri
Que je porte et en moi l’arrogance
De cet oiseau coloré
Ô Vents applaudissez
Ô Étoiles observez
Tant qu’elle est serrée sur ma poitrine
De quoi dois-je me méfier
Mon collier est sa soie
Et quel homme libre enchaîné je suis »
Je n’ai pas pu continuer car il était mort de rire et me disait: « C’est une prose que je n’ai entendue de ma vie. Les mots sont arabes sans aucun doute mais je n’ai rien compris. Ça doit être un écrit d’Abu Tammam Atta’i puisque tu m’as dit que ton ami est syrien ».
Comment nos ancêtres pourraient-ils comprendre ces utilisations et ces nouveaux mots contemporains, comme grève générale, faire feu, élections démocratiques, banques, Bourse, inflation, décollage d’un avion, et voiture à quatre roues motrices (Sayyara = voiture) … Chez nos ancêtres, sayyara est le féminin de sayyar qui veut dire caravane de chameaux.
Chaque planète tourne autour du soleil, Internet, Facebook, Parlement, bulletin d’informations, ou bien l’avion a largué ses bombes d’une hauteur vertigineuse. Qanabel, au singulier ombola (traduction: bombe) signifie chez nos ancêtres, un groupe de personnes ou une horde de chevaux ou de chameaux…. Qu’en serait-il si tu leur disais bombe incendiaire, ou bombe bactériologique ou bombe nucléaire ? Ou encore quand tu leur dis : « Je vais publier cet article dans le Journal (Jareeda) Al Qods Al Arabi ? Jareeda veut dire pour eux, un groupe de cavaliers sans fantassins et, aussi, le reste de l’argent et, peut-être, la feuille sur laquelle on écrit mais qui n’a pas le même sens que celui utilisé de nos jours.
Rappeler que la langue évolue et que le signe ou le mot n’est pas immuable ou permanant est une évidence. Plus encore, l’évolution du signe peut être générée à travers des transformations et duplications linguistiques diverses et non pas seulement son changement mais aussi sa disparition.
Pour répondre à cette question, nous n’avons que deux options de réponse possibles. Premièrement, le mot change de signification beaucoup plus qu’il disparait ou se perd. Ce changement prend trois voies: l’élargissement du signifié qui engendre un élargissement du sens; la limitation, un mot peut avoir plusieurs extensions de sens mais peut se limiter à un seul sens dans certains cas. Un mot peut aussi passer par deux étapes, sa diffusion suivie par un confinement; une mutation du mot à chaque fois que le sens passe d’une chose à une autre.
Deuxièmement, le mot disparait avec la chose qu’il signifiait. Ceci se passe seulement après plusieurs longues périodes. Ainsi, il ne reste d’existence pour le mot que celle littéraire, et de fonction que celle littéraire ou poétique. Mais le mot succombe dans ‘la tombe de la langue’ avant de disparaître définitivement, ressemblant beaucoup plus à une stèle dressée sur une sépulture. À vrai dire, la majeure partie de ce que l’on entend dans les discours des Salafistes et dans leurs télévisions n’est en fait qu’une manifestation de cette mort, dont les temps sont révolus. Vue ainsi, elle constitue une preuve que l’arabe de ces gens-là, est « l’arabe autorité », dans un sens large du terme qui veut dire l’arabe du transfert, de l’apprentissage et de la mémoire, de l’obéissance ou ce que nous appelons la culture auditive. J’aime l’appeler la langue patriarcale.
À reconnaître que l’amour de nos ancêtres et la fierté de venir d’eux n’est pas contradictoire avec le fait qu’ils ne peuvent pas contrôler notre réalité, ou que leur discours pourrait constituer une de nos visions de notre monde moderne, si compliqué, quelle que soit la sainteté qu’on leur octroie. Les temps ont modifié leur langue et leurs visions. Il nous revient, à nous autres Arabes contemporains, de nous tourner vers notre réalité et de rechercher des solutions à nos problèmes avec notre propre langue arabe et non pas cette langue arabe morte, qui a des airs de latin.
L’histoire de l’arabe classique est le fruit en grande partie de l’impact de l’intensification des luttes linguistiques pour purifier la langue et la faire évoluer. Se sont affrontés poètes et linguistes, et parmi ces derniers, les concepts de « principe » et d’« intrus », depuis l’époque de Haroun Al Rachid, quand des savants tels que Al Asmai, Abu Obeyda, Abu Zeyd, Al Farra’a et Al Kissaï etc…, ont tenu des séances de glorification du souverain.
Al Asmaï a réuni la richesse linguistique des bédouins et l’a classée. Ensuite, il se lança dans la définition des règles de l’usage linguistique précis des mots. Al Aarabi était plutôt d’un autre avis. Al Batlioussi a critiqué Ibn Qoteyba car il a suivi l’école d’Al Asmaï qui était stricte dans son traitement de la langue, sans se soucier de l’avis d’autres linguistes de renom.
Al Kissaï a pris position contre la grammaire utilisée par Sibawayh et Al Khalil, lui qui a longuement étudié les dialectes uniques ou rares dans la langue arabe. Il s’est aussi intéressé aux règles de la grammaire et de la conjugaison pour inclure toutes les leçons et tout en adoptant le principe de l’expansion dans le roman, de l’étude comparative ainsi que l’avis contraire par rapport aux érudits de la Bassora. Il en était de même pour d’autres sujets où les avis étaient différents.
Cependant, ceci confirme que l’étude de la langue Arabe est une étude descriptive, analytique et exhaustive, qui n’a pas pu différencier avec exactitude une langue moderne d’une langue ancienne, la langue de la poésie de celle de la prose dans le cadre d’établissement des règles linguistiques, car les linguistes les ont confondues, d’où cette grave perturbation dans leurs jugements.
Les raisons de cette lacune sont attribuables à l’élargissement de la géographie arabe et à l’agitation qui en a résulté dans la détermination de l’arabe littéraire, dans les différentes matières linguistiques, dans leur richesse et leur diversité, et dans l’exclusion du facteur temps dans l’évolution de la langue. Par exemple, ils n’ont pas réparti la langue poétique selon le facteur « temps », mais ont plutôt utilisé, de manière générale, une répartition selon le facteur « espace ». Ils ont groupé la langue de Jarir et Al Farazdaq avec celle de Zouheir et Al Aacha. Ils ont séparé les langues des tribus selon leur proximité ou leur distance par rapport à la région de Najd. La langue du Coran a constitué l’une des raisons principales de cette répartition. Un grand mérite revient au Coran dans l’évolution des recherches linguistiques chez les Arabes. Jamais, il n’y a eu un tel impact dans l’histoire de la langue arabe. On peut déceler cela dans les diverses catégories de la langue, qui tournent toutes autour de l’apprentissage du texte et l’éloquence du texte transmis et son exécution comme si la langue est une loi applicable à toute époque. Toute nouvelle ère doit se conformer à l’époque de la révélation et du 1er siècle de l’Hégire.
Peut-être que cette sanctification provocante qu’ils ont donné au Coran -eux qui l’ont dépourvu des éléments d’espace et de temps- constitue l’une des causes qui les ont éloignés du facteur temps dans l’évolution de la langue. Elle a peut être retiré à leur regard ce que la langue du Coran reflète elle-même comme étapes diverses dans l’évolution linguistique de l’arabe et des nombreuses différences entre une exécution orale et une autre écrite. Mais leur volonté de « peaufiner la langue » et de sauvegarder l’arabe des nomades dérivait de leur souci que le Coran reste à jamais lu et compris. Il en a résulté que l’arabe parlé par les bédouins est considéré comme un modèle à suivre, idéal à tous égards, ce que les intellectuels utilisent dans leur discours oral et dans toutes leurs rédactions écrites.
Dans de nombreuses répliques d’Al Jahedh, -qui ont besoin d’être classées et organisées-, il est indiqué qu’une partie des savants, écrivains, poètes et autres avaient adopté la langue des bédouins. Ceci s’explique par le fait que cette langue était considérée, jusqu’à notre époque, comme un modèle d’éloquence et de rhétorique. Donc, il n’est pas étrange que ces habitants de la ville l’adoptent même avec ses mots étranges et qu’ils la placent au pinacle. Mais se lancer à parler de cette langue au singulier, crée un conflit avec les réalités de l’histoire de la langue arabe; au moins pour qu’elle soit révisée et vérifiée.
On ne peut pas nier que cette langue est un groupe de langues anciennes et que le changement a commencé à l’affecter depuis la fin du 2ème siècle de l’Hégire. La fixation de la langue n’a pas été entièrement basée sur une vérification de l’histoire, l’adoption d’une méthode scientifique, la vérification des récits et l’établissement de ses règles. Cela n’a pas été réalisé sur des bases de pure induction chez tous les chercheurs. Dans une remarque pertinente, certains avaient pris plus de libertés que d’autres dans la définition de la langue et de ses paramètres. Il ne faut pas oublier que le conflit entre les deux écoles d’Al Bassora et celle d’Al Koufa a commencé au début du 3ème siècle. Ce conflit a impliqué les linguistes et les érudits de la grammaire des deux parties. Certains prétendent que le clan d’Al Bassora a hérité la langue des purs bédouins alors qu’Al Koufa a perpétré la langue des mi-bédouins de la grande peuplade. L’abondante moisson linguistique recueillie chez les bédouins et mi-bédouins n’était pas exempte de confusions, de présomptions et de différences à cause de la diversité et de la multiplicité des sources, que ce soit pour les livres de grammaire et les œuvres relatives aux règles linguistiques ou en ce qui concerne les livres linguistiques et les ouvrages relatifs aux « lectures », « l’étrange dans le Coran » et « les significations dans le Coran ».
Ces livres ont adopté un format unique, qui ne varie pas dans l’ensemble des nouvelles, des poèmes, de la prose, une collecte et une recherche. Peut-être qu’il y avait des variations, dans le contenu, la simplification et le résumé, etc., dans le sujet et non dans la position. Elles se conforment toutes à décrire une langue stable où il est très rare de voir un changement dans ses paramètres et sa base.
Il n’est donc pas surprenant que la langue des nomades soit devenue la langue littéraire et que la langue du Coran soit l’arbitre entre les langues.
La classification des phénomènes linguistiques au cours du 2ème et 3ème siècle de l’Hégire a été fondée sur la base de la norme, de la correction de la langue et de la préservation de l’éloquence. Le but n’était pas seulement de décrire la capacité de l’orateur ou sa pertinence linguistique, ou de décrire les flux de la parole et de noter ce qui est dit et ce qui ne l’est pas, mais la formulation de règles correctives, chargées de séparer ce qui est correct de ce qui est faux, ce qui est établi de ce qui est réel, d’adopter des mots et des tournures et de s’opposer à d’autres. Il n’était pas facile pour les études linguistiques et grammaticales au cours de ces deux siècles de se débarrasser des liens de la norme -elle n’a pas cherché à le faire, non plus- elle, qui s’est soumise aux exigences d’une utilisation de la langue contrôlé par le religieux et par diverses situations culturelles et sociales. Sa première raison était de servir l’explication du Coran, puis elle a dévié de ce but pour « affiner la langue » et exagérer dans la collecte de tout ce qui est étrange. Elle est passée de la description, l’induction et de la découverte des lois et des règles qui contrôlent la parole à son aspect normatif et à la suggestion de mots et de tournures qui ne correspondent pas à la langue du Coran et à l’arabe utilisé par les bédouins.
Elle était là pour soumettre des questions ou établir des standards et ne pouvait, dans le meilleur des cas, qu’être entendue et apprise par cœur, sans être comparée. Les livres généralistes écrits confirment cette orientation. Leur but était de prouver la justesse linguistique et non pas la description du dialecte bédouin ou cet arabe ainsi créé. Peut-être que ce qui renforce cette description, c’est le fait que la plupart des œuvres écrites au cours des 2ème et 3ème siècles de l’Hégire et qui traitent de la langue, la grammaire et la rhétorique, étaient motivées par une tendance éducative claire qui appelle, entre autres, à préparer les moyens d’apprentissage destinés aux écrivains, au sujet de la manière d’écrire et son affinement ou encore permettre à l’écrivain novice d’assimiler les secrets de la langue, de les maîtriser et contrôler les règles d’écriture et de gérer ses techniques. Les avant-gardistes appelaient ces livres « littérature ». Au cours de leur époque, c’était la désignation de la littérature. Il était logique que ces désignations « imposent » son utilisation comme un spécimen de la langue modèle.
Mais leur argumentation à propos des contraires et de la différence dans le signifié et le mot, selon les différences entre les dialectes des tribus et leurs diversités, nous interpelle à propos d’un phénomène dans la poésie arabe, ancienne et contemporaine, qui mérite d’être enregistré. En effet, cette poésie a toujours veillé, depuis la période préislamique, à absorber les dialectes arabes « discordants », dans la Péninsule arabique et a contribué au développement du patrimoine dans la mémoire lexicale et à la compréhension des mots et de leurs sens ainsi que leurs variations d’une tribu à une autre. Elle a aussi donné la possibilité de gérer le vocabulaire en insérant un mot et en omettant un autre, en le publiant à travers le temps et l’espace sans changer son caractère généraliste. Ainsi, la langue arabe s’est transformée en une langue technique ou une langue supérieure.
Peut-être est-ce cela qui rend la langue arabe littéraire, analysée grammaticalement, beaucoup plus une langue patriarcale que la langue maternelle dans le sens strict du mot. Nous ne la parlons que dans des espaces fermés. Si on le faisait hors de ces sphères, on deviendrait la risée de tout le monde. Nous ne la vivons pas et nous ne la parlons pas dans nos rêves. Nous ne l’utilisons pas pour nos besoins quotidiens. Ceci est une partie de la tragédie de la langue arabe. Je veux dire notre tragédie à nous autres Arabes contemporains qui n’avons pas pu nous libérer du joug des Arabes d’hier.
Certes, les écrivains, dans le monde arabe, écrivent dans une « seule » langue : la langue classique ou ce que nous appelons « l’Arabe littéraire », et le caractère unique de ce texte ou d’un autre, n’est pas une singularité pure, ou l’exclusivité détenue par une entité parlante qui accomplit la langue dans une liberté totale. Le parler, en sa qualité d’accomplissement linguistique personnel, constitue un discours social, qu’il soit conforme ou pas à la fonction contractuelle et idéologique de la langue.
Le discours (l’expression) littéraire, quelle que soit son originalité ou son étrangeté, ne se réalise que de lui-même, selon des compositions préétablies, tout en étant différent. Dans un tel contexte, nous pouvons déceler les particularités de l’écriture littéraire, et nous arrêter devant les contraintes qui entravent la liberté d’une action de « l’Être » et inhibe son expression. Le discours est la performance qui façonne la langue. Il impose une certaine entité, une certaine expression. C’est aussi un échange ou un acte partagé qui se compose d’un double aspect : l’aspect de sa conception et l’aspect de son interprétation. À partir de là, il nous permet de cerner les aspects de subjectivité et d’intersubjectivité dans le texte. Il se peut que « l’alternance » nous ait permis de mettre en valeur la manière que le dialogue utilise pour nouer de multiples relations entre ceux qui parlent de cette littérature arabe, ce qui unit ou qui divise et qui fait que ces lectures qui concourent à propos de ses subtilités, s’attirent et se bousculent en même temps. Dans un tel cas, nous prenons en considération le texte dans sa spécificité conversationnelle : ce qui se rapporte aux relations sur lesquelles et par lesquelles il repose et aussi en ce qui concerne sa relation avec d’autres textes avec lesquels il interagit selon le croisement textuel et linguistique, en même temps (l’impact des langues étrangères et des dialectes locaux).
Alors, quelle est la frontière qui sépare / relie l’arabe de l’Égyptien Najib Mahfouz, par exemple, et du Tunisien Mahmoud El Messadi ou l’arabe du Libanais Bichr Faris, ou entre l’arabe de l’Irakien Saadi Youssef et l’arabe du Palestinien Mahmoud Darwish, ou entre l’arabe du Syrien Adonis et l’arabe du Marocain Mohammed Bennis, ou l’arabe de l’Algérien Wassiny Laaredj et celui des Tunisiens Hassouna Mesbahi et Habib Selmi, l’arabe du Palestinien Ghassan Kanafani et celui du libanais Elias Khoury ? N’existe-t-il pas dans cet usage linguistique « différent » ou « divers », un élément qui confirme que le mot n’est pas immuable ou permanent et stable, mais qu’il évolue dans son essence en s’élargissant, se limitant ou en se transformant ?
Le texte écrit, le récit ou le discours sont examinés selon leur construction ou leur composition linguistique et aussi de point de vue des conditions de leur production ou de leur élaboration. C’est une règle qu’il faut prendre en considération et s’y référer dans tout acte de lecture, car il contient, d’une part, des aspects du discours ou « formulation de mots », et aussi qu’il nous permet de traiter le texte arabe contemporain, poésie ou roman, en sa qualité de discours « inquiet » dans son essence et dans les étapes de son assimilation, d’autre part. Ce que nous disons est simplement un jugement impartial et non pas un jugement de valeur. Les Lettres arabes contemporaines ne se sont pas encore stabilisées. Notre culture demeure encore confuse. C’est presque le « Sykes-Picot de la littérature Arabe » depuis l’avènement de cette « littérature arabe moderne » dans ses deux premiers centres : Ash-Sham (Syrie) et l’Égypte. Elle soulève beaucoup plus de questions qu’elle ne donne de réponses.