Littérature romanesque et appropriation du monde
En découvrant l’intitulé du panel dans lequel avait été prévue mon intervention de cet après-midi, plusieurs angles d’approche me sont venus à l’esprit. Chacun des trois mots dialogue, transmission et échange portant en lui autant de valeurs positives, que l’ensemble qu’ils forment aujourd’hui à l’occasion de nos débats.
Ils sont complémentaires ces trois concepts, ils pourraient constituer les trois piliers d’une plateforme où s’entrelaceraient tous les possibles : le dialogue, c’est à dire à la fois la parole et l’écoute ; la transmission, c’est à dire la générosité du partage ; l’échange enfin, que ne peut mieux illustrer cette phrase dont l’écrivain pacifiste Jean Giono avait fait son viatique : « Je reçois ce que je donne ».
Abordons ce que nous offre la « transmission » , ce qu’elle nous permet de prendre en considération dans ce contexte du dialogue que nous sommes unanimes à souhaiter et à provoquer. La transmission implique qu’il y ait d’un côté celle ou celui qui possède un talent, un bien ou une connaissance ; de l’autre celui qui, en la recevant, accroîtra ses compétences, sa richesse ou son savoir. En ce qui concerne la littérature, j’aimerais limiter ma proposition à la littérature romanesque. Il est évident en effet que la littérature documentaire, l’essai, le livre éducatif transmettent de la connaissance. Quant à la transmission « matérielle », d’un bien ou d’une richesse, ce n’est sans doute pas dans les livres qu’elle se trouvera. En revanche, le roman et la nouvelle permettent à celles et ceux qui s’adonnent à leur lecture, de disposer d’un formidable instrument d’appropriation, d’investigation et de compréhension du monde. Non seulement du monde tel qu’il apparaît, aujourd’hui, maintenant, ici : c’est à dire submergé par les images et les textes qui nous en disent de façon constante et ininterrompue des fragments isolés les uns des autres, surgissant de partout, nous éblouissant comme les paillettes qui, une fois disparues, nous laissent devant une sensation vertigineuse de vide. Pourtant, quelle illusion celle dans laquelle nous vivons : il suffit d’un clic, là où l’accès au numérique est techniquement possible et où il n’est pas censuré bien sûr, pour que toutes les connaissances du monde nous soient données. Données ? Oui. Mais en vrac. Sans mode d’emploi. Sans grille de lecture. C’est comme si on vous livrait tel ou tel ustensile, une radio, une voiture, que sais-je ?, en pièces détachées. Vous ouvrez la boîte, toutes les pièces se répandent sur le sol et vous restez là, perdu devant le capharnaüm des éléments épars, dont tous pourtant ont leur place dans l’objet que vous êtes incapable de réaliser, faute de disposer d’un plan d’assemblage et, si vous l’aviez, de la compétence pour le mettre en œuvre. N’est-ce pas ce à quoi nous sommes confrontés : l’illusion d’être informé de tout, et, en même temps, la sensation si désagréable de ne pas parler la langue de notre interlocuteur, de ne pas être en mesure de déchiffrer son alphabet.
En revanche, que nous apporte la littérature ? Les clés de lecture, l’alphabet, le mode d’assemblage.
En effet, envisageons l’apprentissage ou la transmission de l’Histoire pour poursuivre la démonstration que je vous propose. Il n’est pas nécessaire de répéter combien la connaissance de l’histoire est un facteur incontestable de progrès, un aliment indispensable à la perception de l’actualité et à la projection dans l’avenir. Il n’est pas inutile de déplorer, en revanche, la part congrue qu’elle occupe de plus en plus dans les programmes scolaires. Quel rôle pourrait jouer la littérature pour pallier à ces défections de l’enseignement ? Les livres, les romans en particulier, sont un apprentissage très spécifique de l’Histoire.
La première caractéristique de la lecture est la « suspension consentie de l’incrédulité ». Vous connaissez cette belle définition de Coleridge « willing suspension of disbelief » qui décrit l’opération mentale qu’effectue le lecteur ou le spectateur d’une œuvre de fiction qui accepte, le temps de sa consultation de l’œuvre, de mettre de côté son scepticisme.
C’est la situation que, lecteur, depuis notre plus jeune âge, nous avons expérimentée. En quoi nous intéresse-t-elle ici ? Dans l’apprentissage de l’Histoire ? Par l’émotion à laquelle elle rend réceptif. Prenons un exemple dans la littérature française classique, mais vous en trouverez cent autres dans les littératures du monde : dans un chapitre des Misérables, Victor Hugo décrit de Thénardier dépouillant les cadavres qui jonchent au lendemain du 18 juin le champ de bataille de Waterloo. En focalisant notre attention sur la scélératesse de ce personnage, Hugo nous donne à ressentir ce qu’a été la terrible bataille qu’il a décrite par ailleurs, la souffrance de ces soldats dont il ne reste que les dépouilles à demi enfouies dans le sang et la boue. N’en savons-nous pas davantage qu’en lisant cent livres d’histoire qui nous décriraient les grands mouvements des armées, les tactiques et les stratégies ? Nous en savons davantage parce que le point de vue adopté par l’écrivain est à hauteur d’homme, parce que le lecteur, dans cette « suspension volontaire de l’incrédulité » a laissé grandes ouvertes les portes de l’émotion. Il ne percevra plus jamais de la même manière le récit d’un conflit. Lorsqu’il verra sur un écran de télévision ou sur internet des images confuses d’affrontements, lorsque sur Twitter ou sur les réseaux sociaux il lira les milliers de signes qui lui sont assénés, il est plus probable qu’il prendra du recul par rapport à ces flots, qu’il ne s’en laissera pas submerger, qu’il ressentira de l’empathie pour la souffrance que dissimulent ces images tout en prétendant la montrer.
Permettez-moi un autre exemple. L’année 2014 a été l’occasion d’évoquer des différentes étapes de la première guerre mondiale. Les origines du conflit, son déclenchement, l’embrasement d’un continent dans ce qui est devenu une des guerres les plus barbares et meurtrières du siècle, tout cela a été évoqué, commenté et avec raison. Dans le même temps que l’on expliquait l’histoire, on pouvait redécouvrir les récits ou les romans de ceux qui se trouvaient au cœur sanglant des batailles : Maurice Genevoix, Jean Giono, Henri Barbusse du côté français ; Erich Maria Remarque du côté allemand ; d’autres encore en Russie, au Royaume Uni. Celles et ceux qui ont saisi cette opportunité pour lire ces pages ont été étreints par les tenailles de la souffrance de chacun de ceux qui écrivaient, en écrivains, l’enfer qu’ils avaient traversé. La même année 2014, un roman couronné du prix Goncourt à l’automne 2013 nous étreignait à nouveau avec cette force que seule la littérature peut exercer. Il s’agissait du roman de Pierre Lemaître, Au revoir là-haut. L’argument du roman ? Evoquer à travers deux personnages, les gueules cassées et l’exploitation, après-guerre, par des marchés publics falsifiés, des sépultures à donner aux millions de morts qui jonchaient depuis quatre ans les champs de bataille. J’avais eu l’occasion d’interviewer Pierre Lemaître à propos de ce roman dont il avait choisi de débuter l’histoire en novembre 1918, soit à ce moment où tous les protagonistes, les poilus dans leur tranchée, les généraux dans leurs états-majors et les chefs d’État dans leurs palais, tous savaient que la guerre était terminée. Le roman s’ouvre par le récit dantesque d’un assaut d’autant plus inutile qu’il a lieu à ce moment-là du conflit. Ce chapitre halluciné s’intéresse à deux hommes lancés dans le combat. L’un finira « gueule cassée », l’autre survivra par miracle à l’enlisement dans un trou d’obus. Permettez-moi de lire un extrait de ce premier chapitre. Albert s’est jeté dans un trou d’obus au milieu du champ de bataille. « Prise d’une convulsion foudroyante, la terre s’ébranle et pousse un grondement massif et lugubre. (…) Albert regarde en l’air parce que tout s’est obscurci d’un coup. Et là, à la place du ciel, une dizaine de mètres au-dessus de lui, il voit se dérouler, presque au ralenti, une immense vague de terre brune dont la crête mouvante et sinueuse ploie lentement dans sa direction et s’apprête à descendre vers lui pour l’enlacer. »
Le romanesque apporte à la connaissance de l’Histoire ce que seul le romanesque peut donner : la vision intime, la complexité des rapports humains, les grains de sable dans les mécaniques supposées éternelles… C’est de cela que sont faits les hommes et leurs histoires… C’est ainsi qu’à chaque seconde, se nouent les fils qui tissent leur destin… Et le roman est le seul instrument d’investigation qui puisse y donner une petite lueur sinon de compréhension au moins d’empathie.
J’ai choisi d’évoquer la guerre de 14-18 parce qu’elle appartient en quelque sorte à notre mémoire collective, parce que ses ramifications se sont lancées sur toute la surface du globe, parce qu’aujourd’hui encore, on ne peut comprendre certaines tensions géopolitiques sans revenir en arrière.
Voici donc pour la transmission de cette émotion particulière que peut donner le roman, le point de vue de l’écrivain, le passage par le style, l’invention, l’esthétique pour dire le réel et, surtout, le faire ressentir.
Il est pourtant une autre transmission à laquelle le livre peut se prêter. Et ici nous rejoignons le deuxième terme de notre consigne, l’échange. Partant du même postulat selon lequel la fiction est un instrument d’investigation du réel, de l’histoire et du contemporain, je voudrais m’éloigner un peu de cette solitude nécessaire au lecteur pour accéder à la suspension volontaire de l’incrédulité et envisager le livre comme instrument de médiation, instrument de transmission par l’échange.
Pour ma démonstration, je dois évoquer une expérience originale : celle d’un recueil rassemblant quatorze nouvelles commandées par un éditeur à quatorze romanciers européens et maghrébins, tous francophones (l’éditeur, KER[1], étant une maison d’édition belge francophone), mais l’expérience pourrait se dupliquer dans d’autres langues. L’objectif de ce livre est d’offrir à des lecteurs adolescents des nouvelles de fiction inspirées par la montée de la radicalisation, notamment parmi leur groupe d’âge. Le livre offre, si j’ose m’exprimer ainsi, trois possibilités d’usage : la lecture par le jeune, la lecture par l’enseignant, la lecture par les parents. Ce sont les deux derniers cas qui sont les plus significatifs pour ce qui est de l’échange. Il s’est avéré que les nouvelles de fiction composant ce recueil sont devenues les déclencheurs de débats au sein des classes. A la manière du processus qui s’enclenche dans le cas de médiation juridique, qui permet en cas d’entente entre les parties, d’éviter le procès, se sont enclenchées dans les classes des échanges entre adultes (parents ou enseignants) et adolescents, prenant appui sur les situations de fiction racontées dans l’ouvrage. Suivant les sensibilités de chacun, telle ou telle nouvelle (historique, fantastique, sociale) déclenchait la discussion et, par la vertu de la médiation du livre, n’entraînait pas la virulence, la méfiance, la dénégation que suscitaient trop souvent les tentatives d’aborder ce sujet.
Ainsi, transmission et échange se rejoignaient ici dans un dialogue fondé sur le livre, sur la fiction. Ceci n’est bien sûr pas propre à la littérature, mais se déclenche à partir de toute production de fiction.
Je souhaiterais enfin, renouant avec la thématique de notre panel, mais privilégiant ma qualité de président de PEN Belgique et non celle d’écrivain, vous présenter brièvement une initiative que PEN Belgique a choisi de parrainer dans le cadre des préoccupations de PEN liées à l’éducation. Le projet consiste au départ à créer des classes d’informatique dans un village du Togo. Une expérience hors-normes à laquelle un professeur d’informatique canadien, basé en Belgique, consacre tout son temps « libre » : créer dans le village de Kuma au Togo une classe informatique, l’équiper et assurer la formation des élèves et des formateurs. Le matériel ? Un ordinateur, de la taille d’un paquet de cigarettes, conçu à l’Université de Cambridge par la start-up Raspberry, dont le prix de vente ne dépasse pas 40 € ! Pour quelle raison PEN Belgique s’intéresse-t-il à ce projet ?
Parmi les possibilités éducatives qu’ouvre cette réalisation, figure bien sûr l’accès aux livres -documentaires, éducatifs, littéraires- qui sont accessibles dans les formats numériques. N’y a-t-il pas là un extraordinaire défi à relever ?
Le faire connaître et encourager la duplication du modèle qu’il représente dans d’autres communautés éducatives, notamment en Afrique francophone. Le modèle est déjà en œuvre en Inde. La démarche de Dominique Laloux s’inscrit parfaitement dans les priorités de PEN International en matière d’éducation : « Donner la parole aux jeunes a toujours fait partie intégrante du travail de PEN au cours des 90 années d’existence de l’organisation. Aujourd’hui, ayant compris qu’une société civile saine et dynamique, au sein de laquelle s’épanouissent la littérature et la liberté d’expression, repose sur une citoyenneté engagée, nourrie d’un apprentissage précoce de la lecture, de l’écriture et de l’expression orale, les centres PEN du monde entier continuent de mettre en œuvre des programmes qui offrent aux jeunes un véritable espace de développement : clubs de lecture et d’écriture en milieu scolaire, stages d’été consacrés aux droits de l’Homme, bibliothèques scolaires, traduction de livres pour enfants dans diverses langues minoritaires et ateliers d’écriture créative sont autant d’opportunités pour que les jeunes puissent s’exprimer librement. Outre cette action directe auprès des jeunes en termes d’écriture, de lecture et d’apprentissage de la langue, en milieu scolaire comme périscolaire, les programmes pédagogiques menés par les centres PEN ont également vocation à former les enseignants, à faire campagne pour l’amélioration des programmes scolaires, et à développer les ressources littéraires dont disposent les écoles. »
Faire connaître et promouvoir le projet Kuma-Ci pour qu’il puisse être dupliqué dans d’autres régions fait dorénavant partie des actions auxquelles va s’attacher le nouveau centre francophone belge de PEN International. Il y a là, à travers un exemple concret, réaliste et accessible, une des voies pour faciliter l’accès au livre, en particulier par la mise à disposition de catalogues de livres numériques, mise à disposition dont PEN Belgique espère bien convaincre des éditeurs.
Je ne sais si j’ai répondu à votre attente en évoquant ces trois exemples de « transmission et échange », j’espère en tous cas nous avoir donné l’occasion, l’envie, la curiosité d’en dialoguer. Si je n’ai pas usé de mon temps de parole, permettez-moi de vous donner lecture d’une de mes courtes nouvelles à l’image de celles parues dans le recueil que j’évoquais.
L’ire
Ils sont arrivés à huit heures ce matin.
Ils n’ont même pas pris la peine de lancer à la cantonade leurs incantations habituelles, comme si eux-mêmes doutaient du sens de leur corvée quotidienne : vider les librairies de la ville, condamner les salles de cinéma, fermer les bibliothèques, empiler les postes de radio et de télévision sur les trottoirs et y bouter le feu, qu’ils alimentent ensuite avec tout ce qui leur tombe sous la main dans les rayons des magasins : tablettes, écrans d’ordinateurs, disques durs.
C’était au tour de la librairie d’Alonso, la dernière de la ville.
Le libraire avait été prévenu. « Ton tour viendra vieillard » s’était exclamé un gamin, vêtu de noir, en ouvrant à la volée la porte d’entrée de la bouquinerie. Depuis une semaine, chaque soir, malgré le couvre-feu, des anciens clients, des amis, des membres de l’Union des Cercles Clandestins de Lecture Européens aussi se réunissaient au rez-de-chaussée de la librairie. Ils venaient saluer Alonso, se promener dans les travées, acheter un dernier livre. Certains ont même demandé une dédicace au vieil homme. Vous imaginez cela : un libraire qui dédicace les livres qu’il vend ! Alonso souriait de cette aménité qui l’enveloppait de toutes parts. C’étaient les derniers livres mis en vente dans la dernière librairie de la ville ! Celle qui a résisté le plus longtemps, le plus rageusement. Alonso longtemps a exprimé sa colère qu’il appelait, par dérision, « L’ire ». Puis, il s’est tu. Comme tout le monde.
Ce soir-là, une fois le dernier client parti, le volet abaissé, le vieil homme s’est affalé sur son fauteuil, tenant d’une main un livre ouvert, de l’autre le balai qu’il venait d’utiliser pour nettoyer une dernière fois. La lampe projetait au sol sa silhouette étique, ombre sèche et longue comme dans une de ces gravures de Gustave Doré que je connais bien.
Le front penché sur les pages qu’il tournait de la main gauche, il écrivait de la main droite ce qui deviendrait son « coup de cœur » : en quelques mots, il rédigerait une appréciation sur le livre et sa brève description. En une seule phrase, quel que soit le livre, roman, théâtre, poésie ou documentaire, Alonso a l’art d’identifier ce qu’il apportera au lecteur : du rêve, du bonheur, des ailleurs, des voyages, de l’aventure. Il écrit sur un post-it, appose son ex-libris sur la couverture intérieure : un idéogramme dont quelques initiés savent ce qu’il représente.
Alonso avait ramené ce cachet d’un voyage en Chine. Il y avait fait graver le mot « livre ». Un menuisier lui avait fait remarquer que la disposition des lignes de cet idéogramme permettrait d’en réaliser une bibliothèque. Aussitôt dit, aussitôt fait : une étagère chinoise orne depuis lors le mur derrière le comptoir.
Alonso a refermé le livre. Il vient le déposer sur la pile, près de l’entrée. Il y colle son post-it. L’horloge de la librairie indique 5 heures du matin. Ils seront bientôt là, les gardiens de la Force Nouvelle. Le camion sera stationné devant la double vitrine où des livres pour enfants ouverts comme des ailes d’oiseau déployées semblent vouloir s’envoler dans la fraîcheur de l’aube.
Ils sont arrivés à huit heures ce matin.
Leurs tuniques noires virevoltaient entre les tables couvertes de livres, dans les travées, dans les escaliers. Les piles de livres s’effondraient sur leur passage. Pas un n’échappa au sort que leur réservaient ces corbeaux silencieux et rageurs : les livres tombaient dans de grands paniers d’osier, transportés dans la rue, aspergés d’essence et enflammés dans l’odeur âcre et ancestrale des autodafés.
Ils vidèrent la librairie n’y laissant qu’une chaise et une table, comme le prévoyait, dans sa grande mansuétude la Force Nouvelle en Europe.
À midi, Alonso offrit une limonade aux hommes avant qu’ils ne prennent congé. Un thermos et deux gobelets de plastique échappèrent ainsi à la saisie.
Une fois les soudards repartis, le vieillard referma la porte donnant sur la rue et s’assit. Il allongea les jambes sous la table. Son dos glissa un peu sur le dossier de la chaise. C’est à ce moment-là qu’il me remarqua. Je devais faire bien triste figure : pages jaunies et déchirées, un peu de ficelle et de colle pour maintenir la couverture où on devinait le nom de mon auteur. Alonso se leva, se pencha vers moi. Les corbeaux ne m’avaient pas remarqué. Alonso me libéra de l’étagère que je maintenais en équilibre, se releva et revint s’asseoir.
Il me posa sur la table, m’ouvrit à la première page et commença à me lire, en murmurant:
« Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n’y a pas longtemps, un hidalgo (…) On dit qu’il avait le surnom de Quixada ou Quesada (…) Il voulut s’appeler don Quichotte … »
[1] « Le Peuple des lumières », avec des textes d’Abdalaziz Alhamza, Frank Andriat, Yahia Belaskri, Jean Claude Bologne, Vincent Engel, Fariba Hachtroudi, Hubert Haddad, Jean Jauniaux, Françoise Lalande, Fouad Laroui, Grégoire Polet, Ingrid Thobois, Bernard Tirtiaux, Frédérick Tristan, Obion (couverture)